Pérou : la farce des élections anticipées ne résout rien

La montagne a accouché d’une souris. Le 20 décembre, le Congrès péruvien s’est à nouveau penché sur la question d’une élection anticipée, qu’il avait rejetée vendredi 16 décembre. Lorsque Dina Boluarte a succédé illégitimement au président Castillo, elle a annoncé qu’elle resterait en fonction jusqu’en 2026. Cela est devenu intenable. Il est clair qu’une partie de la classe dirigeante péruvienne comprend qu’elle doit réformer le système politique pour tenter d’apaiser l’énorme vague d’indignation soulevée par le coup d’État du Congrès contre le président Castillo le 7 décembre.

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La répression brutale, qui a déjà fait près de 30 morts, l’état d’urgence, l’armée dans les rues, le couvre-feu, etc. ne sont pas, à eux seuls, capables de garantir le retour à la stabilité bourgeoise. D’où la nécessité de nouvelles élections pour donner un vernis de légitimité à ce régime illégitime.

Mais le caractère extrêmement fragmenté du système politique péruvien a finalement fait échouer le projet d’avancer les élections à 2023. Après des heures de délibérations et de propositions diverses, le Congrès péruvien a voté (avec l’opposition de Perú Libre et la moitié du Bloc des enseignants) pour avancer les élections… à avril 2024!

En outre, la décision, qui utilise le mécanisme d’un amendement constitutionnel, doit encore être ratifiée lors d’une nouvelle session parlementaire en février 2023.

Ce qui devait être une manœuvre pour apaiser le mouvement insurrectionnel des ouvriers et des paysans contre l’ensemble du régime, s’est transformé en une farce qui ne plaira à personne.

Le 11 décembre, un éditorial du Financial Times (l’organe de référence de l’impérialisme britannique, qui se soucie manifestement du Pérou en tant que pays riche en ressources minérales) a appelé à juste titre à une vaste réforme politique, y compris une réforme de la constitution, comme seul moyen de garantir la stabilité de l’ordre capitaliste dans le pays (et donc la stabilité des intérêts des multinationales minières) :

« Les progrès sont peu probables sans une réforme politique de grande envergure. Le Pérou est affligé par une constitution autoritaire rédigée par Alberto Fujimori, un président qui a fermé le congrès et gouverné par décret dans les années 1990. Son parlement monocaméral de 130 membres peut être dissous par le président s’il rejette à deux reprises son choix de premier ministre.

Les partis politiques ont proliféré dans le cadre d’un système de représentation proportionnelle mal conçu, créant un congrès très fragmenté où le président doit constamment faire du marchandage. Une loi archaïque, jamais correctement définie, permet aux législateurs de destituer un président pour « incapacité morale » – un gros bâton utile pour obtenir des concessions.

La plupart des partis ne sont guère plus que des véhicules pour l’ambition personnelle de leurs dirigeants ou la promotion de groupes d’intérêts particuliers. Il n’est guère surprenant que les sondages montrent que la plupart des Péruviens méprisent l’ensemble de la classe politique. Tout cela rend d’autant plus remarquable le fait que le Pérou ait survécu à de multiples crises politiques au cours de la dernière décennie avec sa démocratie intacte. Il est peu probable que cette chance se poursuive, malgré l’insouciance des investisseurs.

Le Congrès et le nouveau président doivent de toute urgence se réunir et convenir d’un ensemble de réformes politiques pour donner au pays une assise institutionnelle solide et permettre de s’attaquer à ses problèmes sociaux profondément enracinés. Sinon, une future tentative de coup d’État pourrait réussir. »

Mais il semble que les représentants politiques de la classe dominante au Congrès péruvien soient incapables d’écouter les voix raisonnables qui leur exposent les intérêts généraux de leur classe.

Toutes les institutions du régime démocratique bourgeois sont extrêmement discréditées, à juste titre. Selon un sondage de l’Instituto de Estudios Peruanos (IEP) pour La República, 83% de la population est favorable à l’avancement des élections, 71% ne sont pas d’accord avec l’accession de Dina Boluarte à la présidence, et 80% sont mécontents « du fonctionnement de la démocratie » en général. 

Le sondage de l’IEP est également intéressant en ce qui concerne le niveau d’approbation de la tentative de Castillo de fermer le Congrès. Dans l’ensemble, 53% sont contre, mais un nombre significatif de 44% sont pour. Par groupes socio-économiques, les plus riches (A/B) sont massivement contre (69%), mais les plus pauvres (D/E) sont pour (52%). Le clivage entre les classes se superpose au clivage régional, le « Pérou rural » étant favorable (52%) et le « Lima métropolitain » défavorable (63%). Par région, la macro-zone sud est favorable (58%), tout comme la macro-zone centrale (54%).

Selon un autre sondage réalisé par IPSOS Pérou, 62% de la population souhaite des élections anticipées avec une réforme politique et électorale.

Lorsque les masses ouvrières, paysannes et étudiantes dans les rues d’Arequipa, Ayacucho, Apurímac, La Libertad, etc. crient « fermez le Congrès », elles ne veulent pas dire « fermez le Congrès dans 16 mois pour que les mêmes personnes puissent être réélues ». 

À l’heure où les travailleurs dans la rue lancent la revendication « chassez-les tous, fermez le Congrès corrompu », le Congrès a décidé de se dissoudre… dans un an et demi!

La décision de ce repaire de voleurs qu’est le Congrès n’aura pas l’effet escompté, à savoir apaiser les travailleurs dans la rue. Son effet sera encore plus réduit maintenant que la lutte a fait près de 30 morts, tués par l’armée et la police.

Il est évident que ces derniers jours, l’intensité du mouvement a diminué en raison de la répression brutale, mais aussi de l’absence d’une direction claire du mouvement. Cependant, ce n’est pas fini.

Dans certaines régions, les barrages routiers se poursuivent, les travailleurs du gaz de Camisea menacent de prendre « les mesures les plus radicales », des milliers de personnes des zones rurales défilent à Cusco, et ni le Congrès ni l’usurpatrice Dina Boluarte n’ont retrouvé un iota de légitimité, bien au contraire.

Il est plus urgent que jamais de donner au mouvement une structure organique, en unissant tous les secteurs et organisations en lutte : ceux qui existaient déjà et ceux qui sont apparus ces derniers jours, les syndicats, les organisations paysannes et agraires, les fédérations d’étudiants, les patrouilles paysannes sur les ronds-points, les commandements unitaires de lutte et les fronts de défense régionaux dans une grande Assemblée nationale révolutionnaire des travailleurs et des paysans, pour donner une direction à la lutte et poser la tâche de prendre les rênes du pays.

Qu’ils dégagent tous! Que les travailleurs gouvernent!

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