Que se passe-t-il au Myanmar et pourquoi?

Le coup d’État du 31 janvier au Myanmar a déclenché un mouvement aux proportions révolutionnaires. La détermination des masses à empêcher les militaires de prendre le pouvoir se manifeste dans un mouvement généralisé et croissant de grèves et de manifestations. La junte militaire a clairement sous-estimé le niveau d’opposition auquel elle serait confrontée.


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Pour comprendre les origines du coup d’État, il est nécessaire d’examiner la nature de la caste des officiers militaires, sa position dans la société, ses racines et sa période de domination passée.

Contexte historique

Le Myanmar, alors connu sous le nom de Birmanie, a obtenu officiellement son indépendance de la domination britannique en 1948. La faible bourgeoisie naissante et la classe des propriétaires terriens ont été incapables de développer le pays après la Seconde Guerre mondiale. La bourgeoisie n’a pu mener à bien aucune des tâches fondamentales de la révolution démocratique bourgeoise. Les paysans voulaient des terres et le peuple dans son ensemble souhaitait se libérer du joug de l’impérialisme. N’a jamais non plus été réglée la question nationale complexe de la Birmanie, avec ses 135 groupes ethniques officiellement reconnus et son clivage religieux entre majorité bouddhiste et minorités chrétienne et musulmane.

Parallèlement, la Russie stalinienne et la Chine maoïste avaient toutes deux fait d’énormes progrès en matière de développement économique et de véritables réformes concrètes pour les masses, sur la base de l’économie planifiée centralisée et possédée par l’État. Mais la classe ouvrière n’était pas au pouvoir. Au sommet de la société se trouvait une bureaucratie privilégiée, gouvernant avec des méthodes répressives. Néanmoins, à cette époque, par rapport à ce que le capitalisme avait à offrir aux anciens pays coloniaux, le système de l’Union soviétique et de la Chine semblait être une solution beaucoup plus viable.

C’est dans ce contexte, et avec le modèle chinois à sa frontière, qu’en 1962, un groupe d’officiers radicaux dirigé par Nay Win a mené un coup d’État. La caste des officiers se considérait comme la seule couche capable d’empêcher la désintégration du pays, et elle a adopté une « voie birmane bouddhiste vers le socialisme ». Un régime totalitaire à parti unique a été mis en place, avec la nationalisation des intérêts étrangers, et même de la bourgeoisie birmane locale. Cependant, comme le régime se fondait sur le modèle de l’Union soviétique et de la Chine, une caste bureaucratique privilégiée a été mise en place.

Au départ, dans les années qui ont suivi immédiatement le coup d’État de 1962, sur la base de la propriété d’État de l’économie, le pays s’est développé à un rythme assez rapide, atteignant même certaines années un pourcentage de croissance annuelle du PIB à deux chiffres.

8888

Le régime est resté au pouvoir jusqu’à ce qu’une grave crise économique ne conduise aux manifestations de 1988, lorsque Nay Win a été contraint de démissionner. C’est à cette époque qu’Aung San Suu Kyi (alias ASSK) est devenue une figure emblématique, lors du soulèvement populaire 8888, qui a débuté le 8 août 1988.

Ce mouvement a été vaincu lors d’un coup d’État sanglant en septembre de la même année, lorsque des milliers de personnes ont été tuées sans discernement par le régime militaire qui a pris le pouvoir. Mais les militaires ressentaient la pression et en 1990, ils ont été contraints de convoquer des élections. La LND, la Ligue nationale pour la démocratie, avec ASSK comme candidate, s’est présentée et a remporté une victoire écrasante.

Mais à l’époque, les militaires ont refusé de reconnaître le résultat des élections et ont bloqué le processus de démocratisation, plaçant ASSK en assignation à résidence. En 2007, les tensions sont revenues avec le déclenchement d’un vaste mouvement connu sous le nom de « Révolution safran », qui a également été réprimé par les militaires, mais la pression de la base ne pouvait pas être jugulée par la seule force brute.

Ainsi, en 2008, les militaires ont été contraints d’autoriser un référendum sur la question de savoir si le peuple souhaitait des élections législatives, qui a montré une volonté massive et généralisée de mettre fin au régime militaire. En 2010, ils ont donc été contraints de lever l’assignation à résidence d’ASSK et d’autoriser la tenue de nouvelles élections.

La LND a cependant boycotté ces élections parce que nombre de ses exigences n’avaient pas été satisfaites, comme la libération des prisonniers politiques, et le Parti de l’Union pour la solidarité et le développement (USDP), le parti des militaires, a donc remporté une grande majorité des sièges disputés aux chambres haute et basse.

Dans le même temps, les militaires se sont assurés qu’ils ne risquaient pas de perdre les principaux leviers du pouvoir. Ils ont rédigé la constitution qui leur donne automatiquement 25% des députés au Parlement et leur garantit le contrôle des principaux ministères, de la défense, de l’intérieur et des frontières. Ils ont également inclus une clause qui leur donne la majorité des sièges au Conseil de la défense et de la sécurité nationale, qui peut déclarer l’état d’urgence.

Après avoir établi ces garanties, en 2011, l’armée a renoncé au régime militaire direct, et l’USDP a gouverné le pays. Mais lors des élections de 2015, la LND, avec ASSK comme figure de proue, a remporté la majorité dans les deux chambres. Elle a été saluée comme un héros et un symbole de démocratie et de liberté. Mais une fois au pouvoir, les choses ont changé très rapidement.

Les chefs militaires ont encouragé le chauvinisme bouddhiste au sein de la majorité Bamar afin de détourner l’attention des vrais problèmes économiques et sociaux. Au cours de la période récente, ils ont concentré leur attention sur la minorité musulmane, les Rohingyas. En 2017, les militaires, soutenus par des bandes bouddhistes réactionnaires, ont brûlé des villages entiers de Rohingyas et ont tué des milliers de personnes.

ASSK, au lieu de condamner ces actions des militaires, les a défendues dans l’arène internationale. En fait, elle s’appuie de plus en plus sur la majorité Bamar, après avoir précédemment promis aux minorités ethniques qu’elle défendrait leurs droits et mettrait fin aux nombreuses petites guerres locales en cours.

Son masque « démocratique » est tombé une fois arrivée au pouvoir. Et son programme économique n’a jamais été aussi progressiste qu’il n’a été présenté par les médias. Par « progressiste », ils entendaient en réalité un programme libéral de privatisations et une plus grande ouverture aux capitaux étrangers. Un exemple en est son « plan de développement économique durable du Myanmar », qui permet aux capitalistes étrangers d’investir jusqu’à 35% dans des entreprises locales.

Avec un tel programme, il y a peu de place pour de véritables réformes pour les travailleurs et les paysans du Myanmar. Au contraire, cela signifie passer d’une économie entre les mains des oligarques militaires à une économie possédée par des capitaux étrangers. Ni l’un ni l’autre n’est dans l’intérêt du peuple du Myanmar.

La nature de la caste militaire

La caste des officiers birmane représente une force économique très importante et puissante dans le pays. De nombreux anciens officiers de haut rang font partie des personnes les plus riches au pays.

Pendant le régime de 1962-1988, le pouvoir et les privilèges des hauts responsables de l’armée étaient garantis par leur contrôle de l’État, qui à son tour contrôlait la majeure partie de l’économie. Pendant cette période, bien que le régime se soit déclaré « non aligné », le pays est finalement tombé de facto dans la sphère d’influence de la Chine maoïste.

Mais en 1988, le nouveau régime de Saw Maung s’est tourné vers le marché, c’est-à-dire vers le capitalisme, pour apporter une solution à la crise qui avait entraîné des désordres sociaux, et a ainsi mis en route un processus visant à démanteler l’ancienne économie étatisée et à s’orienter vers une marchandisation de plus en plus poussée. Quelques années auparavant, la Chine elle-même, sous Deng, avait entamé un processus d’ouverture aux investissements étrangers et elle se dirigeait de plus en plus vers une économie de marché.

Le plan des militaires n’était pas de vendre aux capitalistes privés, mais de se transformer en propriétaires des moyens de production. Ils se sont lancés dans une course effrénée pour s’emparer d’autant de terres et de ressources que possible, même illégalement, le tout à des prix dérisoires. Ce genre d’activité se poursuit encore et a provoqué de nombreuses manifestations locales de la part des personnes expulsées de leurs propriétés.

Là encore, leur modèle a été la Chine. La bureaucratie militaire, comme celle du Parti communiste chinois, n’allait pas renoncer au contrôle de l’économie nationale et a donc adopté une politique à deux volets. Elle a procédé à la privatisation d’une partie de l’économie, tout en conservant des secteurs clés grâce au contrôle qu’elle exerce sur le secteur public.

Les militaires sont déterminés à ne pas céder le contrôle de leurs activités les plus lucratives à des civils qui représentent les intérêts impérialistes occidentaux, ce qui est un facteur supplémentaire pour maintenir de bonnes relations avec la Chine. Cela explique pourquoi ils sont considérés comme un obstacle par les puissances impérialistes occidentales. Les sociétés multinationales voudraient pénétrer l’économie du Myanmar, mais les militaires s’y opposent. Et le fait que la principale puissance étrangère au Myanmar soit la Chine amplifie encore le problème.

Cela explique pourquoi l’Occident soutient ASSK, qu’il considère comme un levier pour ouvrir l’économie du Myanmar et affaiblir l’emprise de la caste des officiers. Sa tâche était de faire avancer le programme de privatisation, et elle a promis de construire une « économie de marché saine ».

Cependant, comme le disait Nikkei Asia en 2016, face à ces efforts de privatisation, « on s’attendait à une résistance de la part des militaires ». L’article lançait un avertissement très clairvoyant : « Si le gouvernement dirigé par Suu Kyi continue à pousser pour la privatisation, il finira par se heurter aux intérêts militaires » (Nikkei Asia, 22 mai 2016). Et c’est exactement ce que nous avons vu avec le récent coup d’État militaire.

Le plus gros mouvement contestataire depuis 1988

Le mouvement de manifestations qui a éclaté depuis le coup d’État est le plus grand depuis 1988. Des manifestations d’étudiants, des sit-in d’ouvriers et des combats de rue ont éclaté ces derniers jours. Les travailleurs avancent instinctivement dans la bonne direction, en organisant des grèves et des sit-in, en élisant des comités de grève, etc.

Actuellement, une idée domine la pensée des masses : il faut arrêter le coup d’État et rétablir la démocratie. Elles veulent montrer à quel point l’opposition au coup d’État est forte et elles espèrent que les militaires les écouteront et se retireront d’une manière ou d’une autre. Les marxistes sympathisent énormément avec ce sentiment, mais nous expliquons que ce n’est pas suffisant.

L’objectif central déclaré du mouvement est de remettre ASSK au pouvoir, mais cela ne tient pas compte de sa véritable nature de classe. Elle représente les intérêts du capital international, et non les intérêts du peuple du Myanmar. Nous ne devons pas oublier que pendant son mandat, ASSK a collaboré avec les généraux; elle a accepté leur constitution et leurs privilèges. C’est parce que l’armée est un acteur économique important dans le pays; les membres de la junte sont eux-mêmes des capitalistes. La seule véritable façon de les écarter du pouvoir serait de leur retirer leur pouvoir économique, et cela signifierait l’expropriation de toutes les entreprises détenues par les militaires.

Le problème pour les libéraux bourgeois est qu’une telle mesure ne pourrait être réalisée qu’en mobilisant les travailleurs, et si les travailleurs sont mobilisés pour se saisir des intérêts économiques des militaires, on parle ici de la moitié de l’économie. Si un mouvement de la classe ouvrière se mettait en marche pour exproprier les militaires, il ne s’arrêterait pas là, mais menacerait le capitalisme dans son ensemble. C’est ce qui explique la collaboration entre ASSK, ainsi que la LND, et l’armée. Un mouvement indépendant des travailleurs et de la jeunesse est une chose qu’ASSK et la LND craignent autant que les généraux.

Les problèmes auxquels sont confrontés les masses du Myanmar, les travailleurs, les jeunes, les paysans, les minorités nationales, trouvent leur origine dans la crise du capitalisme à l’échelle mondiale. Le mouvement révolutionnaire qui a lieu aujourd’hui ne peut se limiter aux seules revendications démocratiques, mais doit aller plus loin et formuler ses propres exigences. La solution à l’impasse actuelle ne peut être trouvée sur une base capitaliste. Il faut exproprier les grands capitalistes, les oligarques militaires, les entreprises étrangères et placer l’économie sous le contrôle démocratique des travailleurs eux-mêmes.

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